Dérive sectaire, charlatanisme, théorie loufoque, contrefaçon intellectuelle, etc… Pas facile de faire le tri dans le marché du développement personnel.
Petite étude d’un cas.
En 2005, une psychologue autoproclamée «thérapeute globaliste» enseignait dans ses formations que «prendre soin des autres» était le niveau le plus engagé du thérapeute. Questions ? D’où vient cette nouvelle théorie ? Comment la psychologue a-t-elle vérifié (ou non) son invention ? Pourquoi n’y a-t-il pas un support écrit qui apporte une preuve sérieuse ?
Comment montrer (et démontrer) que cette théorie est une aberration thérapeutique ? Comment repérer une dérive sectaire de thérapeute ? Ou comment démasquer un gourou ? C’est ce que je vais vous dire ‘ici et maintenant’. En me référant essentiellement aux règles déontologiques des organisations professionnelles de thérapeutes. Mes arguments vous apporteront des réponses claires. Soyez attentifs.
Mais, commençons par le commencement. Voici un résumé de cette fameuse théorie « révolutionnaire ».
Pourquoi « Les 4 niveaux du thérapeute » est une théorie loufoque ?
Personnellement, j’y ai repéré trois ‘anomalies’ (qui posent questions et dont les réponses se trouvent généralement dans la déontologie professionnelle):
1. Première anomalie. La psychologue place la déontologie au niveau 3. Ce qui sous-entend que les thérapeutes des niveaux 1 et 2 ne devraient donc pas respecter de déontologie ?!? Connaissez-vous une seule organisation professionnelle (docteur, psys, kinés,…) qui accepterait qu’un seul de ses membres ne respecte pas son code de déontologie ? Réponses :
– « Le psychologue ne peut se soustraire, même indirectement, à une obligation ou à un devoir contenu dans le présent code. » (Code de déontologie de l’Ordre des Psychologues du Québec)
– « Le médecin ne peut se soustraire, même indirectement, à une obligation ou à un devoir contenu dans le présent code ». (Code de déontologie des médecins du Collège des Médecins du Québec)
2. Deuxième anomalie. Dans sa théorie, la psy affirme que ‘prendre soin des autres’ est le niveau le plus engagé du thérapeute. Autre question : le thérapeute doit-il ‘soigner’ ou ‘prendre soin’ ? Réponses :
– « Le médecin doit soigner avec la même conscience tous ses malades, quels que soient leur situation, leur nationalité, leurs convictions, leur réputation et les sentiments qu’il éprouve à leur égard ». (Code de déontologie médicale du Conseil National de l’Ordre des Médecins).
– Sylvie et Pierre Angel : « Les thérapeutiques sont nombreuses; le rôle du psychologue est de mettre en place un espace de parole, d’inviter le patient à exprimer librement sa pensée. » (1)
3. Troisième anomalie. Ce que la psychologue ne précise pas dans sa théorie: la formule ‘prendre soin des autres’ se retrouve aussi dans le bouddhisme. Démonstration :
– Traleg Kyabgon : « Cet engagement à PRENDRE SOIN DES AUTRES trouve sa source dans le fait que le bodhisattva se perçoit et se réfléchit en tant que détenteur de la nature de Bouddha ». (2)
– Définition du bodhisattva de Pierre Pelletier : « Dans un sens large, désigne tout être qui consacre sa vie au service des autres, ou les êtres qui osent s’engager (vœu de bodhisattva) à libérer de la souffrance tous les êtres sensibles ». (3)
La psychologue a donc placé un concept bouddhiste ‘prendre soin des autres’ (niveau 4) au-dessus de la déontologie du thérapeute (niveau 3). Et c’est ici qu’il y a dérive (mystique et/ou sectaire ?).
Pourquoi l’éthique du thérapeute est-elle essentielle ?
– Joëlle Boyesen : « L’éthique d’une profession est l’ensemble des règles morales qui déterminent les comportements et les conduites de chacune des personnes de ce groupe donné. (…) Ces règles servent essentiellement à limiter le pouvoir, la toute-puissance du psychothérapeute qui parfois s’élève au-dessus des limites de sa fonction, les excède, les transgresse, les nie ou les dépasse en toutes formes d’actions passives ou actives qui atteigne la personne de son client en dehors du processus thérapeutique ». (4)
‘Prendre soin des autres’: une aberration thérapeutique ?
Revenons maintenant au niveau 4 du thérapeute : « prendre soin des autres ». Pourquoi ce concept ne fonctionne pas en psychothérapie ? En fait, il y a confusion des rôles entre le ‘thérapeute’ et le ‘bodhisattva’. Et il y a aussi conflit d’intérêt entre la « psy » (qui doit respecter la neutralité bienveillante) et le ‘bodhisattva (qui veut/voeu prendre soin des autres et les mener à l’illumination).
Il y a confusion et il y a aussi ‘fusion’ entre la psy (la fonction) et la femme (l’humain qui a adhéré au bouddhisme). Conséquence : la psy a perdu son ‘levier thérapeutique’. La psy n’est plus psy et la psychothérapie ne fonctionne plus. Et que se passe-t-il si la ‘pseudo-psy’ continue à recevoir ses patients en cabinet de consultation ?
Si la psy (qui n’est plus psy) continue la thérapie (qui n’est plus une thérapie) avec ses patients, il y a abus de confiance. Et abus de pouvoir. La pseudo-psy va alors tout faire pour ‘paraître psy’ aux yeux de ses patients. Pour se faire, elle va monopoliser la parole avec un langage savant ou philosophique (pour montrer son savoir et séduire) et elle va ‘infantiliser’ ses patients (pour garder le contrôle). Elle va apprendre à mentir à ses patients, à ses collègues, au lama du Centre tibétain et aussi … à elle-même ! Et petit à petit, la « psy » devient… gourou !
Conséquence : la relation d’aide devient une relation d’emprise et de manipulation. Les patients sont « ensectés » à leur insu ! En fait, la formule ‘prendre soin des autres’ a tout pour séduire les oreilles. Mais, ce concept appliqué au cadre thérapeutique conduit le thérapeute à saborder son travail thérapeutique. L’inventeur de cette théorie est un charlatan qui n’a rien compris à son métier de psy !
Résultat : c’est un désastre thérapeutique. Au minimum, les patients ont payé pour une thérapie ( ?) totalement inefficace, inachevée ou incomplète. Et dans le pire des cas, les patients seront dans la «merdouille psychologique» pour un certain temps. Ils peuvent s’en sortirent. Et ils peuvent aussi sombrer dans l’alcool, la drogue ou même… se suicider !
Dérive sectaire: quelques indices « visibles »
Ajoutons que pour repérer une dérive sectaire du thérapeute, il y a quelquefois des indices plus visibles (qui peuvent interpeller). Dans le cas de cette psychologue, je peux citer en vrac :
– la présence d’un Bouddha et de bougies dans son cabinet de consultation
– le symbole yin-yang ‘ancré’ dans le plancher de sa salle d’attente
– la diffusion des brochures du Centre tibétain (dont elle est membre)
– de plus, la psychologue anime aussi un atelier ‘Yoga-Méditation’ dans un Centre tibétain (en clair, elle fait donc passer ses patients de son cabinet de consultation à sa Communauté spirituelle) ! De plus, elle organise aussi des retraites pour thérapeutes dans le même centre tibétain !
– et enfin, la psychologue propose à ses patients de faire un ‘travail sur la mère’ et un ‘travail sur le toucher’ (deux ‘thérapies’ dont elle ne fait aucune publicité !).
Concernant ces deux derniers éléments curieux, si je me réfère à la mécanique sectaire, il peut s’agir d’une phase d’infantilisation (‘Travail sur la mère’) et d’une phase d’initiation au tantra (‘Travail sur le toucher’) ! C’est plausible, mais je n’en ai pas la preuve. Ceci dit, même si mon hypothèse était fausse, il y a ici aussi (au minimum) une faute déontologique.
Après cette analyse d’un cas de dérive sectaire de thérapeute, ajoutons que ce phénomène sectaire particulier (peu connu du grand-public) est néanmoins souligné par de nombreux auteurs. Quatre exemples pour compléter et illustrer mes propos:
– Hélène Vecchiali (psychanalyste) : « Effectivement il existe un risque dogmatique… Il importe que le thérapeute adhère à un courant mais il importe encore plus que ce ne soit pas le courant que le porte. Si le psy est d’abord là pour les patients, il oubliera le dogme ; s’il est là pour le dogme, il oubliera les patients. Dans ce dernier cas, la relation de pouvoir prendra le pas sur la relation thérapeutique. C’est le cas des psys procustiens… qui font entrer tous leurs patients dans un moule identique, le leur ! » (5)
– Jean-Claude Maes (président et président de SOS-Sectes) : « Dans le cas des thérapeutes, il me semble que la dérive sectaire intervient au moment où le thérapeute élève ses techniques de travail au rang de croyance, le relatif de son travail thérapeutique au rang d’absolu de vie. Ainsi le psychothérapeute va tenir un langage de philosophe, avec ceci de pervers que sa philosophie sera présentée au patient comme la seule solution possible à ses problèmes, et d’ailleurs comme une panacée universelle ». (6)
– Anne-Sophie Nogaret : « Sachez qu’un vrai psy : n’évoque pas ses convictions intimes et ses croyances que ce soit dans le domaine religieux, politique, psychothérapeutique ; – ne vous convie à aucun stage ou réunion de développement personnel, d’éveil psycho-spirituel et autres séminaires d’épanouissement de vos potentialités inexploitées ». (7)
Comment repérer un·e pseudo-thérapeute déviant·e ?
Précision, j’ai fait du développement personnel dans les années 70 et 80. Donc avant internet. Aujourd’hui, ce que l’on nomme « le paysage sectaire » a beaucoup évolué.
D’une part, les pseudo-thérapeutes ont plusieurs casquettes: ils sont auteurs, conférenciers, formateurs et thérapeutes ou coaches. Et d’autre part, ils font partie de « communautés » et ils fonctionnement souvent en réseaux.
De plus, ils ont adopté des stratégies de webmarketing (lancements orchestrés avec produit d’appel: un ebook gratuit, des vidéos de formation gratuites, des webinaires gratuits,…).
Je reviens à la question: comment les repérer ? Je n’ai pas de formule magique (sans quoi je serais moi-même un charlatan !). Par contre, il est possible d’établir une liste de repères à vérifier. Résumons-les ci-dessous en questions:
– Votre thérapeute a-t-il suivi une formation professionnelle ? A-t-il un diplôme reconnu ?
– Votre thérapeute est-il passé par un processus thérapeutique personnel (psychothérapie ou psychanalyse) ?
– Votre thérapeute est-il en formation continue ?
– Votre thérapeute est-il superviser (par un thérapeute plus expérimenté) ? A-t-il vérifié ses théories ?
– Votre thérapeute s’est-il engagé à respecter le code de déontologie (de sa profession) ? Vous a-t-il donné une copie ? Son cabinet de consultation est-il ‘neutre’ (donc pas de symboles religieux, politiques, philosophiques, etc…) ? Pas de photo de sa famille, de ses enfants, de son chien ou encore de son club sportif ? Votre thérapeute ne vous invite pas au restaurant ? Ni de vous rencontrer à l’extérieur du cabinet de consultations ? Votre thérapeute ne vous propose pas des relations amicales, amoureuses et/ou sexuelles ?
– Votre thérapeute est-il membre d’une organisation professionnelle ? Avez-vous un recours ?
Si vous obtenez un maximum de « non », vous êtes en présence d’un pseudo-professionnel. Par contre, si vous obtenez un maximum de « oui », vous avez peut-être trouvé la perle rare !
Prenez soin de vous !
D.V.
(novembre 2012)
Quelques livres pour en savoir plus (dérive sectaire et autres problématiques)
(1) Sylvie et Pierre Angel, Comment bien choisir son psy, Editons Robert Laffont
(2) Traleg kyabgon, Au cœur du Bouddhisme, Editions Kunchab
(3) Pierre Pelletier, Les thérapies transpersonnelles, Editions Fidès
(4) Ouvrage collectif du SNPPsy, Profession : Psychothérapeute, Buchet / Chastel
(5) Hélène Vecchiali, Guerre et Paix chez les psys, Editions Calmann-Lévy
(6) Jean-Claude Maes, ‘Santé mentale et phénomène sectaire’, Cahiers de la Santé n°16 (2001), Commission Communautaire Française
(7) Anne-Sophie Nogaret, Bien choisir son psy, Editions Hachette
(-) Martine Maurer, Comment choisir son psychothérapeute, Editions Hommes et Perspectives
Quelques sites d’organisations professionnelles à visiter
(9) Syndicat National des Praticiens en psychothérapie relationnelle et psychanalyse : www.snppsy.org
(10) Fédération Française de Psychothérapie et Psychanalyse (et ‘Charte pour les personnes en psychothérapie’): www.ff2p.fr
Fédération des Psychologues Belges : www.bfp-fbp.be
Ordre des Psychologues du Québec : www.ordrepsy.qc.ca
Association Internationale de Somatothérapie: www.ff2s.eu
Ordre des Médecins (Belgique): www.ordomedic.be
Collège des Médecins du Québec : www.cmq.org
ACTMD – Association Canadienne des thérapeutes en Médecines Douces : www.actmd.org
(11) Inami (Institut National d’Assurance Maladie-Invalidité): www.inami.be
Dérive sectaire: quelques liens utiles (aides et informations)
CIAOSN – Centre d’Information et d’Avis sur les Organisations Sectaires Nuisibles – www.ciaosn.be
Info-Secte / Info-Cult – Centre de documentation et de consultation sur la pensée sectaire – www.infocult.org
C.C.M.M. – Centre de documentation, d’éducation et d’action Contre les Manipulations Mentales / Centre Roger IKOR – www.ccmm.asso.fr
FECRIS – Fédération Européenne des Centres de Recherche et d’Information sur le Sectarisme – www.fecris.org/
UNADFI – Union Nationale des Associations de Défense des Familles et de l’Individu Victimes de Sectes – www.unadfi.org
MIVILUDES – Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires – www.derives-sectes.gouv.fr
Psychothérapie Vigilance – www.psyvig.com
CIC – Centre intercantonal d’information sur les croyances et sur les activités des groupements à caractère religieux, spirituel ou ésotérique – www.cic-info.ch
Association des Victimes de la Médecine Nouvelle, Biologie totale, etc… aivmn
Institut Supérieur de Charlatologie
AViSO asbl
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